- Un film d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau
- Durée : 1H37
- Année : 2008 • FRANCE
Sortie le 3 mars 2010
Distribution : avec Guy Marchand, Françoise Fabian, Sabrina Seyvecou, Yannick Renier, François Negret, Catherine Mouchet, Sandrine Dumas et Pierre-Loup Rajot
Synopsis :Frédérick fait pousser des arbres et, depuis près de soixante ans, cultive un secret. Autour de lui, seuls sa femme et son fils aîné savent la vérité sur son histoire. La mort de ce fils, avec qui il entretenait des rapports conflictuels, le conduit à révéler enfin à ses proches ce qu’il n’avait jamais pu dire.
Notre avis : Réalisateurs engagés, Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, Ma vraie vie à Rouen, Crustacés et coquillages, Nés en 68) abordent dans ce film, le sujet tabou de la déportation pour homosexualité pendant la Seconde Guerre Mondiale, à travers un drame familial qui implique plusieurs générations. Un film pédagogique, sur fond de transmission.
Nous avons pu rencontrer Olivier Ducastel et Jacques Martineau à quelques jours de la sortie du film en salles et ils ont accepté de répondre à nos questions.
Reportage réalisé par Maxence Aulas
ODLM : Comment vous est venue l’idée de ce film, son titre aussi ?
O.Ducastel &J. Martineau : L’idée du film remonte à assez loin, car nous connaissions le témoignage de Pierre Seel. C’est vrai qu’il y a plus de dix ans que nous nous sommes dit qu’il y avait là une histoire à raconter. Le choix du titre s’est voulu dès le départ très pragmatique. Il tourne autour du secret de famille. Nous avons à peine pensé et évoqué entre nous le double sens du titre. Ce n’est pas ce qui nous a intéressé, en revanche c’est bien plus une invention autour du secret de famille, à savoir : l’arbre (le secret) et la forêt (le statut officiel, sa profession). Frederick fait pousser des arbres, il y a en a - un - puis les autres ; et depuis près de soixante ans il cultive un secret.
ODLM : Faut-il rester sur l’amalgame Nazi – Wagner ?
O.Ducastel &J. Martineau : Pour Wagner et la Walkyrie, ça nous agace de laisser aux Nazis cet honneur d’aimer ce grand musicien humaniste. C’est un peu comme Beethoven, il était écouté et aussi diffusé dans les camps et ce n’est pas pour autant que nous avons laissé les nazis se l’accaparer. Il est important pour nous de s’éloigner de cet amalgame. Donc autant finalement y aller jusqu’au bout en reprenant le morceau le plus emblématique, repris d’ailleurs dans Apocalypse Now.
ODLM : Quel accueil vous ont réservé les autorités du Struthof ?
O.Ducastel &J. Martineau : Pour l’accueil, ils nous ont très bien reçus. Ils étaient même contents que nous abordions ce sujet. Pour le site historique, c’était important pour nous de montrer que ce site existe toujours. Car il est sur le sol français et beaucoup aujourd’hui encore, nous nous en rendons compte lors des avant-premières, n’ont aucune idée de son existence. Cela nous aurait embêté de ne pas le montrer. La seule préoccupation pour les autorités restait de ne pas parler de Schirmeck lorsque nous montrions des images du Struthof. Nous avons tourné les images en octobre 2008.
ODLM : Pouvez-vous nous en dire plus sur le personnage de Charles, le fils salaud ?
O.Ducastel &J. Martineau : C’est un point très important du film avec l’arbre loin de la forêt et de ces images emblématiques de ce qu’a été le silence puis de la parole qui se dénoue. On a été très embêté avec le personnage du fils salaud et aussi parce que le film ne donne pas vraiment de réponse là-dessus. Par ailleurs, nous avions vraiment besoin souligner cette résistance de la première génération. Sur l’histoire des secrets, sur la parole qui se dénoue et sur les effets que cela provoque. Nous nous sommes appuyés sur des témoignages. Et la solution retenue pour le film aura été que moins on en savait sur lui, mieux on pouvait mettre en doute le fait qu’il n’était peut-être pas autant salaud que cela. Nous devions composer avec une demande de la production de ne pas trop raconter. Il y a souvent dans le monde du retour des déportés, un saut de génération dans la verbalisation. Le sacrifice peut-être d’une génération à laquelle la suivante consent bien moins. Cela dit la réaction vis-à-vis du silence produit des effets extrêmement différents chez les deux fils : le fils cadet ne reproche même pas à son père d’être homosexuel, car il a déjà dépassé ça. A la rigueur, ce qu’il lui reproche c’est de ne pas lui en avoir parlé plus tôt. En revanche pour l’aîné, lorsque la parole se libère, tout se mélange. Cela crée des situations très complexes. Par exemple, à l’inverse du cadet, il ne voulait pas que toute cette histoire sorte, car il n’acceptait pas l’homosexualité de son père.
OLDM : Comment avez-vous imaginé la mise en tournage du témoignage de Pierre Seel ?
O.Ducastel &J. Martineau : Il y a eu plusieurs versions de scénario où le nom de Pierre était cité par les personnages. Par exemple, dans une version très antérieure à celle retenue, la démarche de la petite fille et du gendre était différente. Nous avions imaginé qu’une fois Frederick ayant fait son aveu, ils essayaient de convaincre leur grand-père de témoigner plus largement. Mais cela se révélait dans la réalité assez faux, puisque Pierre Seel avait été seul volontaire à témoigner. Il y a eu également une autre version où la petite fille revenait et offrait à son grand-père le livre de Pierre Seel. Cette version nous plaisait bien, car c’était une belle façon de parler explicitement du témoignage de Pierre Seel. Mais, au final, cette volonté, peut-être plus militante, ne nous pas semblé faire consensus.
Notre avis livré aux réalisateurs : Pour nous, le silence autour de cet arbre se rapproche de l’idée du silence des déportés, de leur difficulté à témoigner. Il va nous permettre de faire passer encore mieux le message. Aujourd'hui encore, des Déportés, de toutes catégories, n’osent pas parler. Pour la mémoire des triangles roses et des triangles noirs, ce n'est pas la majorité des Déportés qui font obstacles, mais une minorité d'entre eux parmi les anciens Résistants. Certains nous ont dit : « Attendez que nous soyons partis, avant d'en parler ! ». Mais ne soyons pas naïfs. Il peut y avoir parmi les générations qui n'ont pas connu la Déportation, autant, voire plus, d'hostilité à l'égard de la reconnaissance des homosexuels déportés. 2010 est une année charnière pour nous. Ce film nous sera une aide précieuse pour un dialogue constructif avec le public et le monde de la Mémoire. Sans verser dans la facilité ou le pathos, « L’arbre et la forêt » permet de parler de cette déportation et de tout le silence assourdissant d’après-guerre.
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Photos du film avec l'aimable autorisation de la distribution