« Un abominable rouage du système totalitaire et génocidaire nazi »
(conseiller général de l’Oise)
« Lorsque j’étais enfant, le camp, on ne savait pas pourquoi. J’avais 7 ans en 1943. On passait à vélo, ce qui me frappait : les barbelés, les miradors, sans comprendre beaucoup. On est allé, mon père (il était pharmacien, rue des Pâtissiers, et il a probablement aidé la Résistance, mais n’en a jamais parlé, même après guerre) ma mère, moi, chez des amis, rue d’Austerlitz, au passage des convois ; on entrait dans la pièce, volets fermés, lumière éteinte, silence complet… on ne m’a jamais dit. Honnêtement, c’est un truc visuel. Le silence était de plomb quand les Allemands étaient ici. Ma grand-mère, elle, était maréchaliste : ceux-ci ne devaient plus être très visionnaires… Très difficile de juger après. Les parents ne se sont pas vantés : mon père soutenait moralement et il a toujours aidé, tout le monde savait qu’il était prêt à le faire ». Ainsi parle M. Ginestet, de l’office du tourisme, ressuscitant sa vision d’enfant.
3 baraques restent de ce qui fut d’abord, en lisière de la ville, forêt toute proche, une caserne militaire d’avant 14, puis un hôpital militaire durant la Grande Guerre, puis un camp militaire entre deux, avant de redevenir hôpital pendant la « drôle de guerre » (et de se retrouver sous administration militaire à partir de la Libération pour de longues années). Les occupants y construisirent 7 miradors, accumulèrent chevaux de frise, chicanes et barbelés. Le camp comptait 24 baraques, divisé en 3 secteurs : A – détenus politiques, les Résistants, majoritairement français (« éléments actifs contre l’ennemi ») ; B – internés civils, ressortissants des pays belligérants, dont des Russes blancs, dit « camp américain » (22 nationalités) ; C – le camp des otages juifs, ouvert le 12.12.41, par une arrivée de 1043 d’entre-deux (notables arrêtés après des actions de la Résistance armée). Il sera supprimé en juillet 42 : « là où les conditions d’hygiène sont les plus dégradées » selon J.-J. Raynaud, concepteur de cet ensemble. Il est ouvert aujourd’hui à la mémoire des plus des 50 000 êtres humains qui y furent parqués, en faisant le 2ème plus grand camp d’internement français après Drancy, dont Royallieu est le pendant historique : 40 convois en emmenèrent vers l’extermination 40 000 femmes et hommes.
Elus et militaires escortent M. Poncelet, président du Sénat, et le sénateur-maire du lieu, M. Marini, accompagnés des responsables d’associations, dont Mme Chombart de Lauwe, Charles Palant, F.Perrot (président des Associations des Déportés, Internés et Familles de Disparus), G.Ducoloné (Buchenwald-Dora), qui visitent le musée avec l’historien J.-P.Besse, le directeur des Archives départementales, B.Ricard (qui nous indique que les archives ont été détruites en 44, elles sont donc peu nombreuses et fort dispersées. Beate Husser a obtenu une dérogation pour consulter les archives judiciaires allemandes (délai de 100 ans) ; il existe des listes transmises du sous-préfet au préfet de Compiègne, des lettres demandant des nouvelles des internés… J.P.Besse : « Aujourd’hui, nous sommes vraiment dans le temps de l’Histoire. » Le temps des synthèses, complétant les témoignages) ; nous entendons leurs commentaires érudits sur l’écran installé sous le chapiteau, où est donnée la « symphonie mémoriale » avec chœur, de J.Grimbert-Barré en 1ère audition. Ces vigoureuses couleurs dramatiques ponctuent les allocutions officielles. C.Delage (réalisateur de « Nuremberg, les nazis face à leur crime ») explique qu’ont été enlevés « les ajouts de la 2ème moitié du XXème s. » M. Marini met en exergue la « mission de ce Mémorial : que toute tentative de minimisation soit évitée ». La diversité de la Déportation se déploie entre ces murs dépouillés, les Résistants, les victimes de la répression dite raciale, dans un essai de « restitution » et non de « reconstitution » ainsi que l’a voulu l’architecte, qui a utilisé le virtuel, les marquages en lumières colorées, les voix des internés sortant des salles (ainsi les 1642 personnes « suspectes » évacuées du Vieux-Port de Marseille les 22 et 23.01.43, arrivées 3 jours plus tard. 782 juifs, dont 250 enfants – furent transférés à Drancy le 12.3 et déportés les 22 et 23.01.43 à Sobibor. Les autres en avril et mai 43, partent à Sachsenhausen). La plaque de verre du mur des noms, interminable liste, menu alphabet de misère et d’abjection, laisse voir l’arrière des 3 baraquements et un grand arbre déjà là à l’époque ; reste à imaginer la boue, les heures d’appel, la malnutrition, les morts par maladie, l’effroi et l’abrutissement des parcages avant l’ultime déportation.
« On ne savait pas toujours où nous allions » souligne G.Ducoloné. Des otages juifs furent trouvés morts dans les wagons les emmenant à Compiègne. F.Perrot (mle 17707, étudiant résistant arrivé le 16.9.43) en parle « comme de la période de la moins désagréable de notre captivité » : ni tortures, ni interrogatoires. « Pour éviter les évasions, les Allemands disaient que l’on y travaillerait et gagnerait de l’argent : c’était de l’action psychologique. » Mme Chombart de Lauwe – dont le père, arrêté avec elle et sa mère, « séjourna » ici – évoque « le long parcours commencé en 1995 avec une commission scientifique, où siégèrent P.St Macary, F.Perrot, D.Peschanski et Beate Husser (historienne allemande), C.Palant, P.-A.Bazin et Patricia, des Archives » et elle-même. Elle ne manque pas de souligner l’urgence du déblocage des crédits par Compiègne pour l’ouverture du 3ème bâtiment, destiné à être un « lieu d’accueil et d’animation pédagogique », que ce Mémorial sera « un rempart contre les résurgences ; les idées du bourreau prospèrent à l’ombre de l’oubli. » Les Allemands avaient un faible encadrement administratif, une forte présence militaire, et seulement 1500 fonctionnaires pour occuper 60% de notre territoire de 20 millions d’habitants, comme le souligne le texte du musée. Un texte de la chapelle, rebâtie, souligne que « les subtilités de la langue française permettaient à ces ecclésiastiques (tel Mgr B.de Solages, de l’institut de Toulouse), aux resistants catholiques, d’attaquer très violemment nos geôliers dans une langue perceptible aux seuls Français »… Le langage antisémite de cette triste époque, ressort d’un texte de propagande nauséabond affiché au mur sous forme de bande dessinée, désignant en latin de cuisine à la vindicte populaire « l’ignobilis youdious » (dans une feuille stigmatisant la « Dingaullite », assimilée à une épidémie)…
L’historien et réalisateur C.Delage a installé en collaboration les 10 salles du musée permanent : des 2 armistices, nous passons aux mesures d’exclusion et de répression de l’automne 40, aux droits de l’occupant et à la politique des otages dès l’été 41, à la radicalisation de la répression et de la persécution. A côté des témoignages, nous visualisons l’internement à l’aide de l’iconographie – artistes professionnels et amateurs ici détenus – et d’une « scénographie suggestive » déployant la vie quotidienne, des frises narrant la vie de quelques fusillés. « Sur cette stratification historique rendue perceptible, l’histoire s’écrit, les traces de l’histoire et de la mémoire sont accrochées ou projetées. » Puis viennent les localisations des 7 camps de déportation – le dernier convoi partira après la Libération de Paris, le suivant fut arrêté – l’ouverture des camps et témoignages des survivants pris sur place ou lors du procès de Nuremberg (films d’époque). Un dispositif ingénieux permet de consulter la masse de documents d’archives (autorités allemandes et françaises), que l’on fait avancer par un geste de la main. En parcours extérieur, d’autres voix disséminées racontent ; sans oublier l’entrée du tunnel d’évasion. La post-histoire du camp est aussi évoquée, par le jugement, à la fin des années 40, des responsables, lesquels ne subirent aucune condamnation.
Lors de la prise de parole des survivants, le 24, 2 d’entre eux, MM Bressan et R.Bellot, nous racontèrent leur évasion. R.Bellot parlera du « tunnel des ouvriers communistes de 42 ; ils avaient creusé des tunnels des 2 côtés du puisard des cuisines. En 43, à partir d’un bâtiment de « galeux » où nous nous étions regroupés, nous prenions du bois pour l’étayer. L’idée était de le garder pour faire entrer la Résistance… Mais il y eut désaccord. A trois, sans rien dire à personne, nous avons recommencé ; après le débarquement, panique, les régiments étaient partout, on ne savait où… Le couvreur, communiste, nous disait comment étaient les environs, de là-haut ; il n’avait demandé aucune autorisation au Parti, et il a eu des ennuis par la suite quand il est rentré chez lui… Les Allemands n’étaient pas dangereux, les chiens, c’est une horreur. Paul, soldat autrichien, n’était pas fait pour la guerre, très gentil il savait que c’était perdu. Nous, on n’était pas des géomètres… J’avais la trouille d’y aller, et je me dégoûtais d’avoir la trouille, c’est pas supportable, alors je cours dans les blés, on tourne, et c’est ainsi que je suis arrivé juste sous le mirador… Finies les conneries, reportons. C’était le 11.6.44. Il a été fermé le 1.9.44. Le lendemain, à l’appel, il en manquait de tous les bâtiments… le commandant du camp n’a rien signalé – pour ne pas se retrouver sur le front de l’Est. Ils ont trouvé la sortie du tunnel par l’extérieur (de l’intérieur, il n’auraient pas pu)… »
De poignantes et inattendues retrouvailles ont lieu l’après-midi du 24, entre anciens « Enfants cachés » et personnes les ayant connus à l’époque. L’un dit à quel point il avait eu l’impression « d’avoir été déménagé dans un monde hostile » dans sa famille d’accueil, et comme il en avait longtemps « voulu à l’OSE » qui l’y avait placé. Il avait dû « faire semblant d’être catholique ». Un autre retrouve l’assistante sociale qui l’avait accompagné devant le juge de paix lors du conflit entre sa famille « adoptive » et sa vraie famille, qui avait même essayé de le « kidnapper » à la sortie de l’école… Cela a duré pour lui des années. Une dame américaine, descendante d’Enfant caché ayant ensuite émigré hors d’Europe, nous dit sa reconnaissance envers les Riboulleau : « Ce n’est pas beaucoup de familles qui ont quelqu’un comme çà (une Juste) dans sa famille ! » Un autre encore évoque « un vrai désastre », il a fallu qu’il attende 13 ans avant de revoir son frère à Compiègne. Il avait été emmené après guerre par une tante inconnue « qui ne pouvait prendre que moi »…
L’association « Mémorial du Wagon de la Déportation » - 90 membres, dont 28 Déportés et membres des familles – va poser des traverses à partir du quai de la gare qui a été classé, et un wagon sera inauguré (qui a « transporté » des détenus, dont il faut se souvenir que fort peu purent s’évader – 100 seulement, dont certains se sont jetés, voire noyés, dans l’Oise, au départ vers l’Allemagne), qui sera empli de 100 « silhouettes » confiées à des artistes internationaux et des élèves et étudiants. Sont évoqués l’asphyxie respiratoire qui régnait là, l’encastrement, les cadavres, la déshydratation provoquée par l’ingestion du pain, l’odeur excrémentielle, par un Résistant survivant, qui rend très vivantes les conditions atroces du transport. Souvent nous dit-il, des employés du chemin de fer cachaient des outils, mais il ne fallait pas tenter l’évasion trop tôt : des sentinelles alors montaient sur chaque marche-pied, et devenaient inutiles les limes dissimulées dans les boules de pain coupées…
Des bornes interactives seront installées le long du « chemin de la honte », qui reconstruiront le cauchemar de ces files émaciées. Parmi eux, le poète Robert Desnos, et Robert Anthelme, auteur de « L’Espèce humaine », livre essentiel. Nous évoquerons, dans d’autres n°s du bulletin, le « camp juif », et celui des politiques.
Françoise VALLETON
Secrétaire de l'association