Informés depuis le 27 octobre 2007 par l’association FLAG ! de la prochaine mise en place du système « Ardoise » (Application de Recueil de la Documentation Opérationnelle et d’Informations Statistiques sur les Enquêtes) dans les services de police, l’association Les « Oublié(e)s » de la Mémoire s’est aussitôt saisie du dossier en relayant l’action déjà initiée par FLAG !. Ainsi dès le 18 décembre 2007, notre association écrivait au ministère afin de dénoncer ce projet de liste discriminante et demandait instamment sa suppression.
Dans sa réponse, le ministère de l’Intérieur, par la voie du directeur de cabinet, M. Michel DELPUECH, nous explique que « le dictionnaire relatif à la personne … est identique à celui du STIC déjà validé par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) en 2001 ». Les « Oublié(e)s » de la Mémoire s’étonnent de cette réponse et ne peuvent pas accepter cette explication, puisque le LRP (Logiciel de Rédaction de Procédure) ne prévoyait pas de liste fermée.
De plus, la CNIL a approuvé en son temps le logiciel STIC, mais en aucun cas le logiciel « Ardoise ». Notre inquiétude est d’autant plus forte, que par le passé, la CNIL a régulièrement dénoncé l’usage qui pouvait être fait du STIC (alimenté par « Ardoise ») notamment dans le cadre des enquêtes administratives. En avril 2006, dans son rapport, elle confirmait encore que ce logiciel comportait, je cite « des signalements parfois injustifiés, erronés ou périmés ».
Enfin, les délais pour demander la suppression pure et simple d’une fiche étant considérable, le fait d’être homosexuel, alcoolique ou membre d’une secte, par exemple, peut rester pendant des années dans une base qui sert encore trop souvent pour « vérifier la moralité d’une personne dans le cas d’une embauche dans un secteur sensible (aéroport, métiers de surveillance, etc …) ».
Dans sa réponse, le directeur de cabinet ajoute : « Ces informations peuvent être enregistrées … si elles résultent de la nature des circonstances de l’infraction dès lors que ces éléments sont nécessaires à la recherche et à l’identification des auteurs … ». Là encore, cette explication aurait pu nous convenir si toutes les circonstances possibles avaient été prévues, ou si comme par le passé (LRP - Logiciel de Rédaction de Procédure), elles avaient été laissées libres d’appréciation aux fonctionnaires de police, exerçant en police judiciaire. Il n’en est rien. Il n’a pas été porté à la connaissance de la CNIL ce nouveau développement. Elle n’a donc pu faire ses observations sur le sujet.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire demandent également les raisons pour lesquelles la gendarmerie n’a pas jugé utile d’intégrer « ces circonstances » dans leur base JUDEX. Les gendarmes seraient-ils moins sérieux que la police nationale pour identifier les auteurs ? Ou seraient-ils plus sensibles aux libertés individuelles ?
Notre association est préoccupée par la fusion prochaine des bases JUDEX (gendarmerie) et ARDOISE (police nationale) dans le projet ARIANE. En effet, cette liste discriminatoire va-t-elle figurer également dans les services de gendarmerie ? Notre association s’y oppose fermement et invite le ministère de l’Intérieur à retirer ces éléments discriminatoires de la base Thésaurus.
Dans le communiqué du ministère, et en réponse aux inquiétudes des associations LGBT (lesbiennes, gaies, bi et trans), il est indiqué que le logiciel n’est pour le moment « qu’en phase de test ». Etonnant quand on sait que l’ensemble des fonctionnaires de police du pays ont fait l’objet d’une formation spécifique sur ce logiciel et ce, depuis le mois de janvier 2008. L’application est depuis quelques jours en phase d’utilisation dans certains commissariats…
Nul doute que si le ministère avait mis ce logiciel simplement en phase de « test », il n’aurait pas engagé autant de moyens financiers et humains pour former tous ses fonctionnaires.
Le communiqué ajoute : « ces données permettent ainsi de caractériser l'infraction et les éventuelles circonstances aggravantes prévues par le code pénal, dans l'intérêt même des victimes (abus de faiblesse, homophobie, racisme, antisémitisme….) ». Là encore la réponse est inexacte puisque toutes les circonstances aggravantes ne figurent pas dans la base. De plus, un onglet spécifique à l’infraction prévoit l’ensemble des circonstances aggravantes, dont l’homophobie.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire sont offusqués d’entendre M. Gérard GACHET, Porte-parole du ministère de l’Intérieur, expliquer : « mais il ne faut pas oublier qu'un certain nombre d'associations homosexuelles a poussé pour que les agressions homophobes soient plus durement sanctionnées. Comment voulez-vous faire apparaître leur caractère homophobe dans ce cas ? Je comprends l'émotion «de ces gens», mais elle est mal placée. » (ndlr : «de ces gens» terme méprisant)
Il est vrai qu’un grand nombre d’associations a été demandeur, et la nôtre n’est pas en reste. Ce logiciel y répond précisément avec l’ensemble des circonstances aggravantes mis à disposition des policiers. Or en fait, le champ «état de la personne » ne traite pas de circonstances aggravantes, mais des caractéristiques sexuelles, philosophiques ou de santé, supposées ou réelles, des plaignants ou des mis en cause. Visiblement, ce porte-parole ne comprend rien à l’émotion des associations LGBT et des syndicats de police. Il y a une différence entre « identifier », et « quantifier » les affaires d’homophobie visant ou non un homosexuel, et « viser » entre autres les homosexuels dans des affaires qui ne s’y rapportent pas. Certes, une mention précise que ce champ doit être saisi uniquement dans les cas «utiles à l’enquête» mais rien n’empêchera un policier de le compléter comme bon lui semble…
En aucun cas Les « Oublié(e)s » de la Mémoire ne remettent en cause l’existence de ce logiciel ; et ils sont convaincus de son intérêt pour la police nationale, mais ils ne peuvent accepter que puisse figurer un champ (mineur en fugue, handicapé, personne atteinte de troubles psychologiques, sans domicile fixe, personne se livrant à la prostitution, en relation habituelle avec prostituée/prostitué, travesti, homosexuel, transsexuel, personnalité, alcoolique, malade, en garde à vue, hospitalisé, membre d'une secte, membre d'une association, décédé, usager des transports en commun, usager de stupéfiants, juré, témoin, auto-stoppeur, permanent syndical ; cette liste n’est pas exhaustive, car nous n’avons pu atteindre tous les «champs») laissant penser que l’administration de la police juge normal de stigmatiser telle ou telle personne pour les raisons citées plus haut.
Nul besoin de sensibiliser les fonctionnaires de police sur l’homophobie dans les écoles de police ou en formation continue, si l’administration envoie ensuite un message contradictoire à ses effectifs. Le champ de ce logiciel est grave, car il émane de l’institution « police ».
Le ministère nous explique qu’il n’a pas pour finalité la construction d’une base de données des homosexuels de France. Une finalité annoncée en 2008 peut à tout moment changer dans les années suivantes en fonction des aléas politiques ; des directives ministérielles ou départementales peuvent inviter les fonctionnaires de police à saisir systématiquement l’orientation sexuelle, l’alcoolisme ou le fait d’être membre d’un syndicat.
Enfin Les « Oublié(e)s » de la Mémoire s’interrogent sur le peu d’empressement de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) à se saisir de ce dossier. En effet, dans une réponse à notre courrier du 12 février 2008, M. Louis SCHWEITZER, Président de la HALDE, nous expliquait : « ces données...seraient susceptibles de constituer des discriminations dans le fonctionnement de service public de la Police entrant dans le champ de compétence de la haute autorité, si elle devait servir de fondement à des décisions administratives défavorables aux intéressés. » Il ajoute avoir saisi la CNIL pour être tenu informé des suites de ce dossier.
En clair, la HALDE souhaite se saisir du dossier uniquement si cela entraîne une discrimination. Elle ne travaille qu’avec les « victimes » et ne souhaite visiblement pas travailler dans la prévention.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire s’inquiètent de la posture de la haute autorité ayant comme objet la lutte contre toutes les discriminations. Ce logiciel tend à rendre suspecte d’emblée de jeu une partie de la population.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire sont satisfaits de la demande quasi unanime des syndicats de police de la suppression de ce champ.
Enfin, Les « Oublié(e)s » de la Mémoire, seront attentifs à la décision de la CNIL.
A l’heure de l’Europe, il est judicieux de s’inspirer de modèles susceptibles d’améliorer l’égalité, le confort et le bien-être des citoyen-ne-s, mais nous nous interrogeons sur la pertinence d’entrer dans la vie privée des personnes et de les ficher. Cette méthode nous rappelle d’autres temps où l’on se servait de ces fichiers pour la répression (et l’extermination) des personnes indésirables pour le régime.
Aujourd’hui nous assistons à une dérive et à une remise en question des libertés individuelles du Citoyen, qui font partie des fondamentaux de notre Constitution. Nous en appelons à la nouvelle commission chargée de modifier le préambule de la Constitution, présidée par Mme Simone VEIL, ainsi qu’aux parlementaires, à leur vigilance et à faire connaître leur sentiment sur ce dossier.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire exigent la modification de ce logiciel «Ardoise», et que soit retiré le champ "état de la personne" portant atteinte aux libertés fondamentales du Citoyen.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire demandent instamment une audience auprès de Mme Michèle ALLIOT-MARIE, ministre de l'Intérieur.
Les « Oublié(e)s » de la Mémoire resteront vigilants sur l’évolution de ce dossier, et soutiendront toutes les initiatives nécessaires à ce combat.
Le conseil d'Administration