Pierre SEEL fut le seul déporté français pour motif d'homosexualité à avoir témoigné et revendiqué publiquement des raisons de sa déportation. Il fut interné six mois (répression au titre du § 175 de l'ancien code pénal allemand) au camp de Schirmeck (en Alsace).
Le 16 août 1923, Pierre Seel voit le jour à Haguenau (Bas-Rhin) dans le château ancestral Fiat. Il est le dernier des cinq fils de la famille installée à Mulhouse où son père est propriétaire d’une pâtisserie-confiserie située au 46 de la rue du Sauvage.
Fin des années 1930, il fréquente le square Steinbach, le cinéma du Corso et une salle de billard à l’étage supérieure d’un café concert sur la place de la République où se réunissaient les homosexuels de Mulhouse.
Au square Steinbach, Pierre se fait voler la montre de sa communion solennelle. Il va porter plainte au commissariat central situé au rez-de-chaussée de l’Hôtel de ville de Mulhouse et à son insu son nom restera inscrit comme homosexuel dans les papiers de la police de la ville. [photo Square Steinbach - collection privée - Les "Oublié(e)s" de la Mémoire - droits réservés]
Le 18 juin 1940, Mulhouse est occupée par les forces du IIIe Reich.
Le 3 mai 1941, Pierre est convoqué par la Gestapo. Après de nombreuses questions, on lui montre le procès-verbal du vol de sa montre. Il sera enfermé avec une douzaine d’autres jeunes.
Le lendemain, il est interné à la prison de Mulhouse où il continuera à y subir interrogatoires et tortures pendant 9 autres jours.
A l’aube du 13 mai 1941, Pierre Seel avec une douzaine d’autres détenus est transféré au camp de Schirmeck-Vorbrück.[reproduction Transfert Pierre Seel au Camp de Schirmeck-Vorbrück]
Les nazis ont réouvert à Schirmeck-Vorbrück des baraquements que l’armée française avait mis à la disposition de réfugiés civils. Ils en ont fait un camp de «rééducation» spécialement destiné à recevoir des Alsaciens récalcitrants détenus pour raisons politiques. Ce camp est confié non pas aux SS, mais à la Police de Sécurité Allemande.
Les internés, hommes et femmes, devront y subir un endoctrinement intense pour être transformés après une cure de durée appropriée, en nationaux-socialistes convaincus. En août 1941, le camp compte 650 occupants, et en septembre 1942, 1.400. Il ne désemplira pas jusqu’à la fin de la guerre. Plus de 10.000 Alsaciens sont passé par le camp pour une durée allant de quelques jours à plusieurs mois.
[photo Entrée de prisonniers au Camp de Schirmeck - Mémorial de l'Alsace-Moselle - droits réservés]
Pierre Seel fait parti d’un kommando de travail forcé qui a participé à la construction des premiers baraquements du camp voisin de Natzweiler-Struthof.
Jeudi 6 novembre 1941, Pierre Seel est renvoyé dans sa famille après 188 jours d’internement.
Considéré comme citoyen allemand du fait de l’annexion de l’Alsace, il est incorporé de force dans l’armée allemande, le 21 mars 1942.
Comme les « Malgré nous », il combat sur le front de l’Est et en Yougoslavie.
Durant l’été 1944, Pierre Seel parvient à déserter. Il se livre aux Russes. Enrôlé dans l’armée soviétique contre les Nazis, il combattit en Pologne.
En mai 1945 il est accueilli par la Croix Rouge et il est rapatrié en train par la Roumanie, l’Allemagne, les Pays-Bas puis par la Belgique.
Il sera désigné dans un centre de contrôle spécial en quête d’éventuels collaborateurs nazis, comme secrétaire pour des enregistrements. Avec cette fonction cela l’entraînera à rentrer avec les derniers déportés français en Alsace, alors que la France était libérée depuis un an. [photo Pierre Seel durant la 2nde Guerre Mondiale]
Après 4 ans et trois mois, Pierre Seel pu retrouver sa famille.
Mais à la souffrance des camps et de la guerre, succède celle du silence. Pierre Seel ne peut raconter son histoire, raconter le motif véritable de son arrestation. L’homosexualité est condamnée en France depuis 1942 et Pierre craint les réactions familiales. Il se marie donc en 1950 et il a 3 enfants durant son mariage, long de 28 ans.
Pierre Seel sort de son silence en 1982 pour réagir aux propos homophobes de l’évêque de Strasbourg qui qualifiait les homosexuels « d’infirmes ». Il publie une lettre ouverte et dévoile ainsi à sa famille son homosexualité. Dès lors, il s’engage dans un combat pour la mémoire, pour la reconnaissance de la déportation dont il a été victime avec des milliers d’autres.
En 1994, il publie sa biographie «Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel» chez Calmann-Lévy, avec l’aide du journaliste Jean Le Bitoux, afin que son expérience ne soit pas oubliée.
En France et en Europe, Pierre Seel témoigne et tente de faire reconnaître la vérité de l’histoire.
Il se bat notamment pour que les cérémonies du souvenir de la déportation accueillent en leur sein les associations qui désirent porter la mémoire des déportéEs homosexuelLEs. [Pierre Seel à Paris, Journée du Souvenir de la Déportation, le 29 avril 2001
Photo Thomas Doussau / Les "Oublié(e)s" de la Mémoire - Droits réservés]
Installé à Toulouse, sa ville d’adoption, Pierre Seel demande à l’Etat, dès 1990, d’être reconnu comme Déporté homosexuel.
En juin 1994, l’Etat reconnaît la valeur de son témoignage et son motif de déportation, lui délivrant le titre de Déporté politique.
Le Premier Ministre, Lionel Jospin évoquera en avril 2001 la déportation pour homosexualité lors d'un discours public.
En 2005, le Président de la République Jacques Chirac a franchi un pas historique en reconnaissant, lors de son discours en avril 2005, la déportation de français pour motif d'homosexualité.
Pierre Seel décède à Toulouse, le 25 novembre 2005, à l’âge de 82 ans. Il repose au cimetière de Bram (Aude).
Quelques mois plus tard, le 31 mars 2006, un hommage officiel et solennel a été rendu à la mémoire de Pierre Seel à l’Arc de Triomphe, en présence de ses proches, de représentants de l’Etat, du monde de la mémoire et du monde associatif LGBT. [Cérémonie d'hommage à l'Arc de Triomphe, le 31 mars 2006 - Photo Les "Oublié(e)s" de la Mémoire - Droits réservés]
Le 23 février 2008, la ville de Toulouse, sa ville d’adoption, inaugure un lieu de mémoire de la déportation pour motif d’homosexualité. Elle a donné à une de ses rues, le nom de Pierre Seel. [Cérémonie d'inauguration à Toulouse, le 23 février 2008 - Photo Jérôme Bonnot - Droits réservés]
Un autre lieu à sa mémoire a vu le jour à Mulhouse le 15 mai 2010 avec l'inauguration d'une plaque commémorative honorant Pierre Seel ainsi que les autres Mulhousiens anonymes dans son cas.
Pierre était grand dans son combat. Il a su communiquer sa force de reconnaissance aux militants de chaque ville lors des commémorations de la Journée nationale du Souvenir de la Déportation. Sa tenacité et son énergie auront fait beaucoup pour ravivier la Mémoire des oubliéEs. Il a incarné une prise de conscience des gays et des lesbiennes sur leur passé et restera pour nous, ce qu’il aimait à dire de lui, un «Témoin de l’Histoire».
« Je tremble en pensant à tous les homosexuels disparus et à tous ceux qui, dans le monde, sont hélas encore torturés ou exterminés avec tant d’autres minorités. » Pierre Seel